Le sport interrogé (2)
- Sanna Hanssen
- 21 févr. 2022
- 16 min de lecture
Un regard historique français
Gymnastique où Sport ?

La France et l'Europe
La France présente un cas particulier dans l’avènement du sport en Europe. Comparée à d’autres pays européens, elle a longtemps marginalisé le sport en lui préférant des pratiques empreintes d’une forte valeur traditionnelle, médicale et militaire : la gymnastique - directement hérité de la Révolution. Le développement du sport s’en est trouvé empêché au profit d’une éducation physique longtemps hostile aux pratiques sportives.
L'évolution historique est empreinte de deux caractéristiques singulières car la France inscrit longtemps l'activité physique dans les compétences de l’Etat afin de la préserver des dérives associées au sport comme le dopage, la violence, la corruption ou le professionnalisme. En même temps, elle a joué un rôle clé dans la création des grandes compétitions sportives mondiales et un personnage aussi important qu’ambivalent que Pierre de Coubertin soulève encore aujourd’hui des controverses et critiques virulentes.
J’ai consulté avec grand profit l'ouvrage collectif Sport, société et culture en France (1), au panorama complet, riche en repères historiques.
La gymnastique
« La France […] fut touchée par le mouvement sportif, par le biais de la gymnastique (2) ». Celle-ci est prépondérante jusque dans les années 1930. Les exercices corporels tels que pratiqués depuis la Renaissance s’appliquent à « redresser (3) » le corps et à parfaire l’humain qui sous les Lumières devra se « régénérer (4) » pour enfin forger « l’homme nouveau (4) » imaginé par la Révolution.
Après le coup d'État du 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte s'apprête à rétablir l'Empire dont l'armée représente le pilier central. Celle-ci investit la gymnastique dans la préparation du soldat et prépare le terrain à la création de l'école de Joinville en 1852, ancêtre de l’Institut National des Sports et de L’Education Physique (INSEP), trésor inestimable en matière de conservation de la mémoire sportive nationale.
L'École est dirigée par le commandant Louis d'Argy, assisté par le civil Napoléon Laisné, tous deux disciples et anciens collaborateurs d'Amoros, l'un des pères de la gymnastique française, dont ils vont fidèlement appliquer les principes. L’école s’inscrit dans la durée et joue pendant plus d'un demi-siècle le premier rôle dans le domaine de l'éducation physique - nommée alors gymnastique - ses finalités étant clairement la formation du combattant.
C’est à partir de la défaite de 1870 que des sociétés gymnastiques à vocation nationaliste et collective se créent. Soutenue par les autorités militaires et civiles, l’Union des Sociétés de Gymnastique de France (USGF) représente dès 1873 le premier maillon d’une longue chaîne de fédérations et de sociétés d’exercices corporels en France concourant à « la réussite d’une intégration sociale des valeurs de la République (5). »
Depuis 1880, la gymnastique est obligatoire dans tous les établissements d’instruction publique de garçons dans une visée de préparation militaire et disciplinaire du citoyen-soldat et de la femme car « La force des générations qui doivent sortir d’elle en dépend (6). » La gymnastique scolaire fait primer des successions de mouvements simples et coordonnés qui sont accompagnés par des chants idéologiques de connotation revancharde.
Le jeu
Parallèlement, l’éducation physique va bénéficier d'aménagements à partir de la fin des années 1880. Il s’agit d’un vaste courant qui place le jeu éducatif face à la gymnastique militaire et finira par constituer la majeure partie du programme de gymnastique scolaire jusqu’en 1923. En raison de la création du premier centre mondial de recherches appliquées à l’exercice, la Station physiologique du Parc de Princes, qui va jouer un rôle important dans les relations qu’entretiennent le sport et le cinéma, permet un développement de la pratique physique dont les jeux et le sport deviendront des compléments indispensables.
L'esthétique
C'est aussi à partir des années 1880 que la bourgeoisie, empreinte d’anglomanie à travers les courses hippiques, va œuvrer à la création de clubs, véritables premières organisations sportives. Car le corps va intéresser les classes bourgeoises d’une manière toute nouvelle. L'esthétique constituera un véritable marché en termes d’entretien du corps qui se fera notamment à travers le thermalisme, différent de la gymnastique à tendance plus orthopédique.
Le sport
C’est Eugène Chapus et son hebdomadaire Le Sport, journal des gens du monde, qui emploie pour la première fois le terme 'sport' en 1854, ouvrant la voie à « l’acculturation sportive des années 1880-1890 (7) » en proposant des modèles de compétition dont l’organisation et le règlement à l’anglaise seront réutilisés en France par une multitude de fédérations et par l’Etat.
Si la gymnastique œuvre à la « nationalisation des masses (8) » dans une idée d’éducation citoyenne égalitaire, les sports de l’ère victorienne représentent l’avènement des loisirs et la « promotion de l’homme nouveau libéral (9) ».
L’évolution du sport est directement liée aux grandes transformations de la fin du XIXe siècle et de la période d’avant- guerre. Comme la gymnastique martiale, les tenants du sport anglais souhaitent forger le soldat-citoyen afin de préparer la revanche contre l’ennemi allemand. L’Union des Sociétés françaises de Sports Athlétiques (USFSA) va devenir durant trente ans la principale organisation nationale omnisports en France dont le baron Pierre de Coubertin sera l'un des plus fervents supporters. Les sports pratiqués au sein de L’USFSA ne s’adressant encore qu’aux hommes adultes issus de la bourgeoisie dans les pratiques de lawn-tennis, course à pied, football, natation et sports d’hiver, tous tendus vers un nouvel ethos sportif, le culte du record dans un esprit de compétition.
Pierre de Coubertin
Pierre de Coubertin (1863-1937), orléaniste par son père et légitimiste par sa mère, se veut réformateur social et patriotique. Son domaine d’action se situe surtout dans la formation sportive de l’élite française à visée revancharde militaire du « nouvel homme d’action française (10) », mais aussi pour relever le « triple défi industriel, commercial et colonial lancé par la modernité anglaise. (11) » Il souhaite placer ses « chevaliers des temps modernes en tête de la France éternelle (12) ». Pour lui, le sport des public schools (13) est la « pierre angulaire de l’Empire britannique (14) », et le sport doit servir la puissance et la démocratie de la France.
La devise de la patriotique USFSA est Ludus pro patria, Pour la patrie par le jeu, et la Grèce antique sert de référence à la formule « sports athlétiques ». Néanmoins, Pierre de Coubertin est accusé d’anglomanie et d’élitisme anti-républicain et son modèle sportif n’est pas intégré dans le système éducatif. Alors secrétaire général de l’USFSA et du Congrès de la Sorbonne pour l’étude et « la propagation des principes d’amateurisme (15) » de 1894, il porte à l’ordre du jour la question du rétablissement des Jeux Olympiques. Son projet s’inscrit dans un désir d’œcuménisme athlétique, au message pacifiste et éducatif, constituant « le libre-échange de l’avenir (15) ».
Le CIO et les FIS
La même année voit se former le Comité international des jeux olympiques (CIJO ou CIO) dont le secrétaire général n’est autre que Pierre de Coubertin (président de 1896 à 1925) qui va plaider en direction d’olympiades itinérantes et pacifistes. La France contribue ainsi à l’internationalisme sportif par le rétablissement des Jeux Olympiques et par la mise en place de normes internationales de l’amateurisme adoptées au Congrès de la Sorbonne.
L’espace international des sports va se former dans les années 1900-1914 par la création de fédérations internationales sportives (FIS) afin de soutenir l’amateurisme intégral qui ne sera abandonné qu’en 1981. Les FIS ont pour la plupart d’entre elles leur siège à Paris ou en France (16), comme la très influente Fédération international de football-association (FIFA) qui est fondée le 21 mai 1904 à Paris au 229, rue Saint-Honoré sous l'impulsion de l'USFSA, dans ses locaux. L’internationalisme sportif reste ambigu en raison du bouillonnement sportif et de son exploitation nationaliste à partir de 1911. Pierre de Coubertin a du mal à se situer entre « pacifisme par le sport et le patriotisme du muscle (17) », deux aspects de son engagement complexe et ambivalent en direction du sport en France et à l’international.
Les fédérations, l'Eglise et la politique
Avec la création en 1903 de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF), on reproche aux catholiques de développer une sorte d’ « armée territoriale (18) ». Ces patronages catholiques connaissent une remarquable extension et se convertissent très tôt au sport. Ce sont les premiers à pénétrer les campagnes, encore isolées de tout mouvement sportif. C’est le football qui deviendra le sport attitré des patronages dès le début du siècle, mais aussi le tir !
Les associations scolaires et post-scolaires enregistrent un retard sur la FGSPF en matière d’ouverture au sport. L’USGF et l’USFSA, qui peinent à définir une pédagogie laïque sportive, vont rompre tout lien avec la FGSPF dans le contexte de la loi de séparation entre Etat et Eglise en 1906.
Les mêmes années, L’USFSA connaîtra une lente prise de pouvoir par les républicains qui cherchent par là à ébranler le rempart sportif de la FGSPF.
Certaines « petites A », les associations d’anciens élèves des écoles de l’Etat du début du XIXe siècle, font leur entrée dans l’USFSA. Drainant des subventions, l’USFSA leur accorde en 1910 le pouvoir d’organiser des championnats nationaux. L’amateurisme de classes des fondateurs de l’USFSA va progressivement faire place à un amateurisme pédagogique et républicain, constituant l’origine du sport à l’école primaire.
Les trois grandes organisations USGF, USFSA et la FGSPF rivalisent et démocratisent d’une certaine façon les pratiques physiques que la loi 1901, permettant aux associations de se former librement, va inscrire dans un double-mouvement de compétition et de loisir.
En effet, l’envolée cyclique tant privée qu’organisée confirmera une logique sportive menée par la presse en direction du sport-spectacle dont l’essor se situe aux alentours du premier tiers du XXe siècle.
Le Tour de France
Lancée par la presse en 1903, la première grande tradition sportive française, le Tour de France, est aussi la première occasion d’ouverture sportive d’une population rurale, encore peu sportive. C’est aussi une des premières économies du sport, caractérisée par la vitesse et la mobilité qui incarne la modernité à travers toute la France et Le Tour va progressivement voir son statut d’épreuve européenne évoluer en celui de compétition mondialisée. C’est la plus ancienne et la plus pérenne compétition inventée en France.
Durant la Grande Guerre, l’UFSFSA, l’USGF et la FGSPF respectent la logique de l’« Union Sacrée », appelant durant le conflit à un apaisement des oppositions entre le sport laïc et confessionnel. Il se passe alors une assimilation sportive des tranchés pour des troupes qui sont majoritairement issus des campagnes. Le sport-roi des tranchés est le football, métaphore de la « guerre comme grand match (19) ».
S’ensuit la naissance de la plus populaire des compétitions du ballon rond en 1917, la Coupe de France de football, appelée aussi Coupe Charles Simon, dirigeant sportif français, mort au combat en 1915, associant l’esprit démocratique du sport moderne à l’exigence mémorielle propre à la guerre.
Entre deux guerres
Au lendemain de la guerre, le cadre institutionnel et idéologique du sport est profondément transformé et devient une question publique. C’est la fin de l’Etat libéral aux fonctions régaliennes. On réclame une vraie politique du sport et un Ministère des Sports car les budgets sont dispersés entre plusieurs ministères de tutelle (20).
Dans les années 1920, une partie des élites littéraires (21) est gagnée par le sport avant de fonder en 1931 l’Association des écrivains sportifs (22), participant à l’évolution du sport comme enjeux dans les conflits idéologiques et syndicaux.
Le professionnalisme va progressivement prendre son essor, soutenu par une presse sportive dont le succès populaire étonne. Elle s’empare du phénomène sportif en créant des mythes qui contribuent à donner corps au héros sportif, à l'instar d'un Jules Ladoumègue ou d'une Suzanne Lenglen, tandis que l’institution scolaire juge encore défavorable l’intégration du sport dans les programmes d’éducation physique dont l’élément obligatoire reste la gymnastique de développement.
Jeux d’hiver à Chamonix et Jeux d’été à Paris, hégémonie française
C’est sur une initiative française que les Jeux d’hiver de Chamonix sont organisés contre la volonté des pays scandinaves, organisateurs des Jeux du Nord et hostiles aux Olympiades d’hiver. Le congrès du CIO va cependant entériner l’intégration de Jeux olympiques d’hiver, vécu comme une victoire du « pari latin (23) » (France, Italie, Suisse, favorables) en 1925.
Le choix de Paris pour les Jeux d’été, un souhait exprimé par Pierre de Coubertin, est compris comme une confirmation de l’hégémonie française sur le continent européen. Les Jeux connaissent un succès et participent au rayonnement de Paris qui se targue encore d’être la capitale culturelle mondiale.
La France et les compétitions mondiales
C’est en quelque sorte la confirmation d’une France capable de créer et d’organiser des compétitions sportives à caractère mondial. En effet, les 24 Heures du Mans automobiles ont été organisées pour la première fois en 1923 et ce sont également des Français qui sont à l’origine de la première Coupe du Monde de football en 1930 à Montevideo : Henri Delaunay et Jules Rimet, président de la FIFA de 1921 à 1954, dont la Coupe porte le nom jusqu’en 1974.
La France et les totalitarismes
C’est le Front Populaire et Léo Lagrange, supporter de la « science des mouvements » de Demenÿ, qui vont proposer une première politique sportive face au défi des régimes totalitaires des années 1930, faisant du sport la pierre angulaire de sa politique anti-crise d’éducation et d’accès aux loisirs.
La France souhaite également que le sport atteste des intentions pacifiques et la diplomatie française s’attache à contrecarrer la propagande allemande tout en souhaitant renforcer la présence française au sein du CIO et dans les fédérations internationales.
Contre la politisation du sport en Italie et en Allemagne, la France souligne l’organisation et l’inspiration du sport français qui se veulent républicaines, reposant sur des principes démocratiques de l’associanisme français. Ce parlementarisme sportif typiquement français se veut apolitique en raison du consensus républicain.
Léo Lagrange crée en 1936 le Conseil supérieur des sport (CSS), une sorte de parlement sportif qui met l’Etat en position d’acteur central du sport et rompt avec la tradition libérale. C’est la première pierre dans l’œuvre d’étatisation du sport français caractéristique par une politique volontariste de redistribution et de soutien aux associations. Elle servira de référence de politique sportive aux « Trente Glorieuses ».
Si en 1937 est créé le Centre National d’Education Physique (24), qui fait du sport un élément essentiel de la préparation militaire, c’est également Léo Lagrange qui est confronté pour la première fois à la question olympique.
La thèse de l’apolitisme du sport est soutenue, car non le gouvernement français, mais le comité olympique national serait représenté lors des Jeux Olympiques de Berlin en 1936 (25). Mais, désormais, le sport de haut niveau ne peut plus ignorer les conditions de politique internationale et la question du boycott sportif se posera à maintes reprises au XXe siècle.
Sous le régime vichyste, l’autoritarisme et la dérive idéologique, l’étatisation du sport de la « révolution nationale » participe implicitement de la politique antisémite, même si le Colonel Pascot, alors successeur du plus mesuré Jean Borotra, en tant que commissaire à l’Education générale aux sports, rattaché au secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, se déclare défendre l’apolitisme coubertinien.
"Les sirènes du stade"
Sous la IV. République, le sport et l’éducation physique retrouvent un cadre institutionnel même si l’héritage de Vichy n’est pas complètement repoussé. En 1944, un service Jeunesse et Sport est rattaché au Ministère de l’Education, mais l’action gouvernementale reste relativement faible. Ce retardement dans le développement du sport en France est directement explicable par l’attitude vis-à-vis des « sirènes du stade (26) » dont l’Etat, pour qui le sport relève du service public, souhaite le préserver, voire le contrôler dans son système fédéral sportif.
En 1945, un ensemble de textes législatifs reconnaissent à l’Etat un pouvoir de tutelle sur les activités sportives en faveur du principe de délégation étatique. Dans un cadre démocratique, les fédérations et associations sportives reçoivent une mission de service public et peuvent, une fois agrémentée par l’Etat, recevoir des subventions.
Si par les médias, le sport va obtenir une popularité insoupçonnée, elle ira de pair avec une réalité sportive de dopage, de boycott et de corruption qui télescopent les valeurs que les autorités françaises souhaitent associer au sport.
Guerre froide
Avec le déclenchement de la guerre froide, les Jeux Olympiques deviennent un terrain d’affrontement symbolique. Par athlètes interposés, les Etats-Unis et l’URSS se défient dans les stades. Si en 1948, aux Jeux Olympiques de Londres, les athlètes français doivent servir de porte-drapeaux du renouveau français, le France voit cependant ses positions se dégrader dans l’ensemble des nations sportives. Jules Rimet quitte la direction de la FIFA en 1954, en tant que dernier des dirigeants français d’échelle mondiale.
C’est les années '60 qui vont voir l’éducation physique et sportive, l’EPS, « écho de l’importance croissante du sport comme fait de civilisation (27) […] » rompre avec la gymnastique de tradition hygiéniste.
La décennie de la sportivisation
Les années de Gaulle peuvent alors être comprises comme l’aube du sport de masse, soutenu par l’essor télévisuel, 1960-1970 étant la décennie de la « sportivisation ».
Maurice Herzog, choisi sur les conseils de Malraux, occupe la fonction inédite de haut-commissaire à la Jeunesse et au Sport, puis celle de secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports entre 1958 et 1965. Homme de confiance de de Gaulle, sa popularité auprès des Français joue en sa faveur et lui permet de préparer le retour en grâce des politiques de la jeunesse dont la presse n’est pas bonne depuis la chute du régime de Vichy. Contrôlant les institutions sportives en mettant en place une procédure de délégation de pourvoir et de diverses subventions ainsi que l’obligation des brevets d’Etat, généralisé aux sports à partir de 1963, font du sport un vaste service public dans lequel les sports – scolaire, de masse et d’élite - sont gérés dans une même logique.
Ministère de la Jeunesse et des Sports
En janvier 1966, le haut-commissariat à la Jeunesse et au Sport est changé en Ministère de la Jeunesse et des Sports et profite alors d’une dotation financière importante et d’un réseau d’associations sportives subventionnées par les municipalités. C’est le premier ministre en plein exercice, François Missoffe, qui consacrera le sport comme une véritable discipline d’enseignement.
Agitations
Entre 1968 et 1984, le monde du sport connaît une intense agitation dans les relations internationales sportives. Les athlètes américains du « Black Power » manifestent à Mexico en 1968, le commando « Septembre Noir » commet l’attentat contre la délégation sportive israélienne à Munich en 1972, 26 pays africains boycottent les Jeux de Montréal en 1976 et la plupart des membres du bloc de l’Est ne participe pas aux Jeux de Los Angeles en 1984.
Sous Giscard d’Estaing, l’élan gaullien est poursuivi dans les années 1970 en direction de la démocratisation d’un sport semi-libéral. L’Etat étant responsable de l’enseignement et de l’équipement sportif, les fédérations mènent une activité indépendante, mais placée sous tutelle du Ministère.
"La guerre de tous contre tous"
A l’occasion des Jeux de Montréal en 1976, Jean-Marie Brohm, fondateur de la revue Quel corps (28) et auteur de la thèse d’Etat, Sociologie politique du sport (28) dénonce le sport comme « une véritable stratégie de manipulation des masses, une institution légitimée et légitimante de la guerre de tous contre tous (29). »
Face à la question du boycott (30) de la Coupe du Monde de 1978 en Argentine du régime dictatorial de Videla, et des Jeux Olympiques à Moscou en 1980 par les Etats-Unis, c’est cependant la thèse de la neutralité du sport qui prévaut au sein du mouvement sportif comme dans la plupart des partis politiques, en faveur de la pax olympica. Si le boycott de la Coupe du monde de football ne mobilise guère les intellectuels français, le boycott des Jeux Olympiques à Moscou provoque une mobilisation plus forte parmi plusieurs générations d’intellectuels. Si tous appellent au boycott, l’idéal de l’apolitisme n’est pas facilement abandonné.
André Glucksman « regrette avec les comités olympiques que le sport et la politique se trouvent mélangés » et Jean-Paul Sartre aurait « tellement voulu que le sport reste le sport ».
Raymond Barre déclare que « la flamme olympique est une des dernières flammes d’espoir qui brillent au monde. » (31)
Vertus anti-crise
Durant la seconde moitié du XXe siècle, le rôle de l’Etat dans l’avancement du sport n’a pas faibli et la responsabilité du pays s’inscrit dans la permanence d’une véritable politique sportive depuis le Front Populaire dont le contrôle étatique entend préserver le sport des lois du marché et des responsables associatifs et fédéraux.
La fin du XXe siècle voit le sport paré de vertus « anti-crise (32) » et les politiques cherchent à s’en servir pour réduire les fractures sociales, notamment dans les banlieues. Les lois de décentralisation des années Mitterrand augmentent le pouvoir des collectivités qui se préoccupent désormais des installations sportives.
L’éducation physique et sportive va progressivement acquérir les mêmes statuts que les autres disciplines et intègre le cursus universitaire par la création des Sciences et Techniques des activités physiques et sportives (STAPS) et de l’agrégation en 1982, les éducateurs physiques ayant rejoint l’Education nationale depuis 1981.
Les premiers programmes d’éducation physique et sportive des collèges sont adoptés en 1997/1998 et pour les lycées entre 2000 et 2002 entraînant en 2003 un remaniement des épreuves du baccalauréat.
Le modèle sportif français
Il existe assurément un modèle sportif français, si ce n’est une « exception sportive française (33) » d’engagement de l’Etat et des collectivités territoriales. Les fédérations travaillant de concert avec le Ministère des Sports pour favoriser le sport de masse et la formation d’une élite qui représente la France dans les compétitions internationales.
Cependant, la volonté de ses partenaires européens d’ouvrir le sport comme un marché ouvert sur la bourse pourrait mettre à mal le modèle d’économie mixte français, l’organisation associative et fédérale traditionnelle.
Le sport et les médias
Car les années 1980 et 1990 ont vu les pratiques de masse et les sports de « contre-culture » se développer et à l’aube du XXIe siècle, l’individualisation du sport-loisir s’accompagne de la mondialisation du sport et de sa récupération par le marketing.
Les chantiers autour d'une nouvelle gouvernance du sport sont multiples en France. Le sport de haut niveau des Jeux olympiques de Paris 2024 sera-t-il aussi celui du sport des territoires ? Le modèle du sport français est remis en question. Est-ce que les moyens indispensables au bon fonctionnement d'un service public national sont-ils assurés ? Car la France du XXIe siècle participe de la "synchronisation globale du temps" (35), classant le sport définitivement comme le "plus grand média du monde" (36).
1 G.D. BAILLET, Les grandes thèmes de la sociologie du sport, page 28
2 J. RIORDAN, A. KRÜGER, T. TERRET, Histoire du sport en Europe, L’Harmattan, Paris, pages 9, 22
3 J. RIORDAN, A. KRÜGER, T. TERRET, Histoire du sport en Europe, pages 21, 24
4 J. RIORDAN, A. KRÜGER, T. TERRET, page 49
5 J. RIORDAN, A. KRÜGER, T. TERRET, page 50
6 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, Sport, société et culture en France, page 34
7 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 41
8 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 41
9 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 48
10 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 48
11 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 48
12 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, Sport, société et culture en France, page 48, En Angleterre et au Pays de Galles, le terme Public School désigne une école privée dont le recrutement est limité par des frais très élevés.
13 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, Sport, société et culture en France, pages 48 et 49
14 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 59
15 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 116 liste complète des fédérations
16 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 67
17 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 50
18 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 82
19 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 103, « …l’instruction physique, les sports et la préparation militaire relèvent des ministères de la Guerre et de la Marine qui versent des subventions aux fédérations et aux sociétés sportives et participent à la construction d’équipements. L’éducation physique et le sport scolaire sont financés par le ministère de l’Instruction publique et les grandes compétitions internationales comme les JO par le Quai d’Orsay. »
20 Henry de Montherlant, Olympiques (1924), Marcel Berger, Quinze rounds (1930), Jean Prévost, etc.
21 Jean Giraudoux, Tristan Bernard, Paul Morand, Henry de Montherlant, Igor Stravinsky, Jean Prévost, etc.
22 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, Sport, société et culture en France, pages 112-114
23 Préparant celle de l’Institut National des sports (INS) en 1945, puis de L’Institut National du Sport et de l’Education Physique (INSEP), ayant fusionné en avec les Écoles normales d'éducation physique (ENSEPS).
24 Il n’y a que Pierre Mendès-France qui s’exprime favorablement face au boycott, pages 126-128
25 J. RIORDAN, A. KRÜGER, T. TERRET, Histoire du sport en Europe, page 64
26 J. RIORDAN, A. KRÜGER, T. TERRET, page 67
27 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, Sport, société et culture en France, page 185
28 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 185
29 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, page 185
3 Marek Halter dans Le Monde du 19 octobre 1977 lance le mouvement de boycott de la coupe du monde de football (« Argentine 1978=Berlin 1936 »), pages 185-186
32 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, Sport, société et culture en France, page 187
33 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, pages 196-197
34 P. CLASTRES, P. DIETSCHY, petit clin d’œil à l’exception culturelle française…, page 205
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